«Joli ou beau», «ivre ou soûl» : attention à vos synonymes !

EXPRESSION POPULAIRE – Est-elle «jolie» ou «belle» ? Et lui, est-il «ivre» ou «soûl» ? Les synonymes ne signifient pas toujours ce que l’on croit.

La justesse. Voilà ce qu’il nous manque au quotidien et ce qui nous fait parfois prendre un mot pour un autre. Que comprendre par exemple à la phrase de celui qui nous lance: «J’étais complètement ivre ce week-end»? Qu’il a décuvé sur le trottoir, qu’il était «bourré» ou simplement «pompette»? Qu’en est-il par ailleurs de celui qui nous annonce prendre notre carte bleue pour faire «des courses» et non «les courses»?
Les subtilités de la langue française peuvent s’avérer bien pernicieuses. Surtout à l’oral, lorsque le précis de grammaire ou le dictionnaire se trouvent hors de portée de main, sur cinq mots pas toujours synonymes.
● Jolie ou belle?
Imaginez un instant la Belle au bois dormant rebaptisée «la Jolie au bois dormant» ou Belle, dans la «Belle et la Bête» gratifiée du nouveau titre de «Jolie»! Le synonyme aura bien l’air pâle aux côtés de «belle» n’est-ce pas? Et pour cause! N’est pas nécessairement belle, celle qui est jolie.
Du latin bellus «beau, gracieux, élégant», l’adjectif «beau» comprend non seulement une rare beauté, mais sous-entend «une admiration en raison de qualités supérieures». Plus que l’apparence physique, la «belle femme» et le «bel homme» ont une pureté d’âme, un comportement et une moralité exceptionnels.
Ce qui n’est pas nécessairement le cas de la «jolie personne». Le mot «joli», probablement dérivé de l’ancien scandinave «jôl», nom d’une grande fête païenne du milieu de l’hiver, désigne en effet «un agrément ou un plaisir, qui peut n’être que superficiel, par son caractère gracieux et bien fait». Conclusion? La jolie femme se pare pour être «agréable à regarder» tandis que la «belle femme» est naturellement «admirable».
● Faire des courses ou faire les courses?
Attention à l’article! Votre carte bleue ne flambera pas de la même manière selon que vous choisirez d’employer un «des» plutôt qu’un «les» devant le nom «course». Faire du shopping ou remplir le frigidaire, il faut en effet choisir.
Résultat des courses? Quand on passe à la caisse pour le plaisir, on «fait des courses», mais quand on fait le marché pour acheter de quoi manger, «on fait les courses». Plus question de recevoir des notes salées après ce court rappel!
● Parfum ou eau de toilette?
Tout le monde a un parfum. Celui des draps encore chauds de la lessive, celui de la pluie ou de la douche du matin. Impossible de lui échapper. Mais qu’en est-il de l’eau de toilette? Peut-on employer l’un pour l’autre? Pas sûr…
L’écrivain Jean-Loup Chiflet résume très bien leur opposition dans son livre. Voici son court récit: «À la fin du XVe siècle, on s’est mis à se méfier de l’eau. C’est alors qu’on a eu recours à des parfums capiteux pour camoufler les mauvaises odeurs.» Une astuce odoriférante qui durera jusqu’au début du XVIIe siècle, époque à laquelle, précise toujours l’auteur, on préférera se vaporiser des eaux moins fortes, «moins concentrée en essences aromatiques». Telle l’eau de Cologne, par exemple, que Napoléon emploiera à tout vent.
● Soûl ou ivre?
«L’ivresse, c’est le dérèglement de tous les sens», écrivait Rimbaud. Il n’échappera à aucuns illustres buveurs qu’une fois la barrière de notre bouche franchie, l’alcool désinhibe et rend «ivre». Plus encore que la soûlerie! Car n’est pas aussi «bourré» celui qui est «juste» soûl.
Du latin saturus, «rassasié», le mot soûl s’emploie de deux façons: pour signifier à autrui que l’on a «mangé ou bu à satiété» et au sens figuré, pour exprimer le «dégoût de quelqu’un ou de quelque chose». Dans le cas de la consommation d’alcool, «être soûl», c’est «avoir bu avec excès une boisson alcoolisée».
Le mot ivre, quant à lui, dérivé du latin ebrius, s’emploie pour caractériser un individu «physiquement et mentalement troublé par l’absorption excessive de boissons alcoolisées», indique le CNRTL. Il insiste davantage sur les symptômes de l’individu soûl. Une personne ivre désigne ainsi, par extension, quelqu’un «d’exalté», sous l’effet «d’un sentiment violent». Ne dit-on pas d’ailleurs que l’on est «ivre d’amour, de colère, de désespoir, de douleur, de joie, de rage et de vengeance»?
● Chausson ou pantoufle?
Imaginez le pied de nez que cela aurait été à Disney si Cendrillon avait choisi de porter un chausson plutôt qu’une pantoufle de vair! Non, cela est impossible. Même si, a contrario de la pantoufle, il existe dans le dictionnaire français ce que l’on appelle le «chausson de bal». Une chausse idéale pour celle qui conquit en la personne du prince, le Graal…
La pantoufle «évoque le confort et la douceur», ainsi que le rappelle Jean-Loup Chiflet dans son livre. «Sans tige, de matière souple et légère», indique pour sa part le CNRTL, la pantoufle est la chausse de l’intérieur.
Le chausson pour sa part, issu du latin classique, calceus «chaussure», est celui que l’on chausse pour faire du sport, tels l’escrime et la danse. «De cuir souple et maintenant le pied au chaud», il est aussi celui que l’on fait revêtir aux nouveau-nés. Bien qu’il indique une idée d’action, à l’extérieur, il est selon la définition actuelle de notre dictionnaire, à utiliser «généralement chez soi». On se fera donc son avis sur le port de chaussons plutôt que de pantoufles à la maison…
Il ne reste plus maintenant qu’à trouver chaussure, chausson, charentaise ou pantoufle à votre pied!